de Daniel Gagnon
il y a une histoire incontournable dans loeuvre de John Ronald Reuel Tolkien, cest bien lhistoire de Lúthien Tinúviel et de Beren Erchamion. De cette histoire il en existe des dizaines de versions. Pourquoi Tolkien a-t-il pris tellement de son temps pour écrire, améliorer, enjoliver ce lai si merveilleux ? Cest parce que cette histoire est proche de lui-même, Tolkien avait eu certainement beaucoup de difficulté à exprimer ses sentiments aux gens. Cest pourquoi il a utilisé son talent décrivain de style médiéval pour écrire une ode à lamour quil portait à son épouse. Cette histoire est une métaphore des problèmes quil a rencontrés pour pouvoir épouser Edith Bratt, la femme de sa vie. Tout dabord, quelle est cette histoire ?
e vais vous faire un résumé pour ceux qui nont pas lu Le Simarillion ou les livres de la série History of Middle-Earth (HoME) de Christopher Tolkien. Pour ceux qui ont lu le Seigneur des Anneaux vous avez lu la chanson dAragorn sur cette histoire mais, en version très brève. Tolkien a vraiment écrit le très long poème quAragorn appelait Le Lai de Leithan, la délivrance. Cest à partir de ce même lai (que lon peut retrouver bien quincomplet dans le troisième volume de HoME : The lays of Beleriand). Le lai commence par lintroduction du roi de Doriath, Elu Thingol, et de sa très ravissante fille Lúthien :
all these he [Thingol] had and loved them less
than a maiden once in Elfinesse;
for fairer than are born to Men
a daughter had he, Lúthien.
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nsuite, le narrateur raconte le triste destin des Humains de Barahir et de ses proscrits qui vivaient sur ce qui restait de leur royaume avant larrivée de Thû (Sauron). Le texte décrit comment le pauvre Gorlim le Maudit à qui son épouse manquait terriblement se fit prendre au piège croyant revoir son épouse Eiliniel dans les ruine de leur maison. Puis il trahit Barahir en indiquant à Morgoth le repère des rebelles (à Sauron dans le Silmarillion). Beren fils de Barahir par chance nétait pas là quand les orques sont venus massacrer les gens de Barahir qui néchappa pas lui-même au massacre. Beren ayant appris la trahison de Gorlim par son fantôme, vengea son père et récupéra lanneau de celui-ci quil avait eu du Roi de Nargothrond Felagund (Finrod Felagund) fils de Finrod (Finarfin) pour son sauvetage lors de la guerre de la flamme subite. Beren fit tellement de tort aux ennemis des Valar que sa tête fut mise au même prix que celle de Thingol et dut fuir le pays de sa naissance. Après la courte histoire de Thingol et Melian la Maia, le narrateur nous raconte comment Beren et Lúthien se sont rencontrés dans la forêt de Doriath et tombés amoureux :
"A night there was winter died;
then all alone she sang and cried
and danced until the dawn of spring,
and chanted some wild magic thing
that stirred him, till it sudden broke
the bonds that held him, and he woke
to madness sweet and brave despair.
He flung his arms to the air,
And out he danced unheeding, fleet,
Enchanted, with enchanted feet.
He sped towards the hillock green,
the lissom limbs, the dancing sheen;
he leapt upon the grassy hill
his arms with loveliness to fill:
his arms were empty, and she fled;
away, away her white feet sped.
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But as she went he swiftly came
And called her with the tender name
of nightingales in elvish tongue,
that all the wood now sudden rung:
«Tinúviel! Tinúviel!»
And clear his voice was as a bell;
Its echoes wove a binding spell:
«Tinúviel ! Tinúviel!»
His voice such love and longing filled
One moment stood she, fear was stilled;
One moment only; like a flame
He leaped towards her as she stayed
And caught and kissed that elfin maid.
As love there woke in sweet surprise
The starlight trembled in her eyes." |
omme jai lintention de vous faire lire les oeuvres de Tolkien, je ne vais pas vous dire tout mais seulement le principal. Vous devez savoir que lamour de Lúthien pour Beren ne plaisait vraiment pas aux Elfes, en particulier au roi lui-même. Il décida de se débarasser de lui en lenvoyant dans une quête "impossible à accomplir" : aller voler à Morgoth (le grand seigneur des ténèbres) un des Silmarilli (les plus célèbres joyaux du monde, faits par Fëanor à Valinor) de la couronne de fer de ce puissant tyran, au fond même de sa forteresse. Sil réussit, il lui donnera la main de sa fille si elle le veut. Pensant lenvoyer à une mort certaine, car il ne voulait pas que sa fille épouse un mortel.
nsuite, Beren quitte Doriath pour demander de laide au Roi Felagund à cause du serment quil avait fait à son père, Barahir. Pendant ce temps, Lúthien séchappa de Doriath et après diverses aventures avec les 2 fils de Fëanor Celegorm et Curufin (qui avaient envoyé le Roi Felagund à la mort avec Beren), elle arriva juste à temps pour sauver Beren dans les prisons de Thû (où il avait échappé à la mort grâce au sacrifice de Felagund).
nsemble les deux amoureux sintroduisirent dans Angband "la prison de fer" et subtilisèrent un Silmaril. Mais Beren se retrouva blessé et il allait mourir : le Silmaril perdu à lintérieur de lhorrible loup Carcharoth, qui avait avalé sa main. Sauvés de justesse par Thorondor le roi des aigles, qui les déposèrent en sécurité, Lúthien sauva Beren de la mort, et Thingol inquiet par la fuite de sa fille les reçut avec grande joie, pardonna à Beren son audace et accepta de donner sa fille en mariage au jeune mortel.
ais pendant ce temps, Carcharoth le loup géant qui avait englouti la main portant le Silmaril était rendu fou et dévastait partout où il allait. On ne pouvait lempêcher de nuire car le pouvoir du Silamril était en lui. Se dirigeant vers le royaume de Thingol, les Elfes allèrent tous à la chasse et Beren les accompagna. Mais il fut blessé à mort par le loup. Il vécut juste assez pour voir remettre sa main, intacte avec le Silmaril dedans, à Thingol. Tinúviel morte de chagrin le suivit dans la mort où elle plaida à Mandos de ne pas séparer leur destin (car le destin des humains est différent de celui des Elfes). Lúthien choisit donc de devenir une mortelle pour suivre Beren dans son destin de mortel. Ils leur fût accordé de revenir des mort et de séjourner un court moment de bonheur.
ref cest une très belle histoire et mon court résumé est loin de lui rendre justice. Il faut absolument la lire. Jai aussi inclu deux extraits plus haut pour vous montrer la qualité du texte du Lay of Leithan. Je ne suis pas dhabitude un amateur de poème, mais jai adoré celui-là. Il sagit dune geste Celtique plus quun poème en vérité. Cest fabuleux, cest le seul mot qui me vient à lesprit. Tolkien a pendant près dune décennie écrit les 4223 vers de cette geste. Un travail de titan que de trouver toutes le rimes et expressions cohérentes. Je ne vous traduirai pas les extraits car ce serait un désastre, je ne suis pas traducteur.
our revenir avec le parallèle de cet histoire avec la vie de Tolkien, il faut savoir que Tolkien a vite été un orphelin et quil a passé une partie de sa vie avec un prêtre qui fut son tuteur. Lui et Edith sont tombés amoureux quand ils étaient jeunes. Le prêtre nétait pas daccord pour que Tolkien revoit sa bien aimée avant quil ait dix-huit ans. Et entre temps Edith avait été fiancée à quelquun dautre. Il a pu se marrier avec elle de justesse. Ce nest pas le seul point en commun avec cette histoire, Lúthien Tinúviel est vraiment Edith Tolkien, jen apporte la preuve avec un texte venant de la biographie de lauteur par Humphrey Carpenter (Presses Pocket 4614), pp 116, 117 et 118 (merci à Nicolas Joron).
"Quand il pouvait avoir une permission, Edith et lui allaient se promener dans la campagne. Ils découvrirent près de Roos un petit bois où poussaient des buissons de fenouil et où ils aimaient se retrouver. Ronald se souvient d'Edith à cette époque : «Elle avait les cheveux d'un noir de jais, la peau blanche , les yeux brillants, et comme elle chantait - comme elle dansait !» Pour lui, elle chantait et elle dansait dans la forêt, et cela donna le conte qui est au centre du Silmarillion : l'histoire d'un mortel, Beren, qui tombe amoureux de la jeune Elfe Lúthien Tinúviel, quand il la voit danser dans les bois, au milieu des fenouils."
e conte romantique rassemble la plus vaste gamme de sentiments qu'il ait jamais décrit, et atteint parfois une intensité wagnérienne. C'est aussi la première fois que Tolkien décrit une quête, et le voyage des deux amants jusque dans la terrible forteresse de Morgoth, où ils vont tenter d'arracher un Silmaril à sa Couronne de Fer, semble voué à l'échec; comme la mission de Frodo, lorsqu'il tente de faire parvenir l'Anneau à sa destination finale. De tous ses contes, c'est celui de Beren et Lúthien que Tolkien préférait, d'autant qu'il identifiait le personnage de Lúthien avec sa propre femme.
près la mort d'Edith, plus de cinquante ans après, il écrivit à son fils Christopher pour expliquer pourquoi il voulait inscrire ce nom, Lúthien, sur la tombe d'Edith : "Elle était (et elle le savait) ma Lúthien. Je n'en dirai pas plus ici. Mais j'aimerais bientôt pouvoir parler longuement avec toi [Christopher Tolkien]. Car, comme il est probable que je n'écrirai jamais de biographie en bonne et due forme - c'est contre ma nature, qui exprime ses sentiments les plus profonds par le mythe et la légende -, un de mes proches devrait savoir un peu de ce qu'on ne trouve pas dans les biographies : la tristesse et la souffrance de notre enfance, dont nous avons trouvé l'un par l'autre notre délivrance sans jamais vraiment guérir des blessures qui se révélèrent plus tard comme des infirmités : les souffrances que nous avons endurées dès la naissance de notre amour - tout cela (qui va plus loin que nos faiblesses respectives) peut aider à faire pardonner ou à faire comprendre les erreurs et les ombres qui ont parfois gâchés nos vies - expliquent aussi comment cela n'a jamais touché ce qu'il y avait de plus profond en nous, ni jamais obscurci le souvenir de notre amour de jeunesse. Nous n'avons jamais cessé (surtout lorsque nous étions seuls) de nous rencontrer dans l'ombre de la forêt, la main dans la main, pour fuir l'ombre d'une mort proche avant notre
séparation".
our l'histoire de Túrin, il choisit un équivalent moderne du type de mesure allitérative qu'on trouve dans Beowulf ; tandis que pour l'histoire de Beren et Lúthien, il choisit de faire rimer les distiques. Il appela ce poème la Geste de Beren et Lúthien, et plus tard le Lai de Leithian. Les couplets rimés des premières strophes de la Geste ont parfois un rythme monotone ou des rimes banales, mais à mesure que Tolkien possédait mieux le rythme, le poème prenait de l'assurance, et il recèle quelques beaux passages.
i vous avez réussi à passer au travers de cet article, jespère que cela vous aura donné envie de lire dans ses différentes versions l'histoire immortelle de Beren et Lúthien. On la trouve en français dans le Silmarillion, et pour ceux qui lisent l'anglais, dans les très beau poème des Lays of Beleriand.